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1/10/2020

VIALATTE UN AUVERGNAT À PARIS



Dans le magazine MASSIF CENTRAL n°133 du premier trimestre 2020, nous vous présentons ce très bel article de François Desnoyers


LA CAPITALE ENTRE ECRITURE ET AMITIE.
VIALATTE UN AUVERGNAT A PARIS.


En 1934, Alexandre Vialatte quitte son Auvergne pour Paris. La capitale sera pour l'écrivain un riche terrain d'observation, précieux pour ses travaux, mais aussi le terreau de solides amitiés.

C'est une anecdote que Pierre, le fils d’Alexandre Vialatte (entre ses parents sur la photo ci-contre), relate dans la biographie que Ferny Besson a consacrée à son père. Il se souvient que, durant son enfance, l'écrivain avait proposé le couvert à un sans-abri, « le vieux père Couvidoux ». Il « entra un soir d'hiver pour manger la soupe chez nous. On lui dressa à un lit poursuit Pierre Vialatte. Il resta quatre mois ». Au domicile des Vialatte, à Paris, on trouve fréquemment des gens de passage. Ce peut être « un clochard qu'Alex a recueilli au coin de la rue ». Ou, souvent, des amis qui viennent partager un repas. « À la maison, où l’on tenait table modeste mais ouverte, il y avait presque toujours un ou plusieurs invités » explique Pierre.
« La notion d'amitié était très importante à ses yeux », se souvient-il aujourd'hui. Ferny Besson, avec qui l’écrivain noua justement une amitié des plus profondes, le confirme dans sa biographie : « On ne dira jamais assez la place prépondérante que l'amitié a tenu dans la vie d’Alexandre Vialatte. Non seulement L'amitié qui le lie étroitement à quelques-uns, avec qui il a des correspondances profondes, mais aussi l'amitié curiosité qui le pousse vers tout être humain.
Paris va être ainsi pour lui un formidable terrain d'exploitation, de rencontres. Une source d'inspiration, bien sûr, notamment pour ses chroniques, mais également un lieu où partager, apprendre de l'autre, et tenter de rendre heureux ses semblables.
C'est en février 1934 qu’Alexandre Vialatte quitte l'Auvergne pour s'installer à Paris. Il rejoint sa femme, Hélène, et leur fils partis quelques mois plus tôt de Clermont-Ferrand. La jeune femme vient de prendre la direction de l'École des surintendantes d'usine et services sociaux. Ils habitent dans un appartement situé au 158 rue Broca, dans le 13e arrondissement. Alexandre Vialatte à alors 32 ans, et déjà derrière lui une solide expérience de traducteur de textes allemands (tout particulièrement de Kafka). Il a également écrit l'une de ses œuvres majeures, Battling le ténébreux, en 1928, et a développé une activité de journaliste. Son arrivée dans la capitale doit lui permettre de se consacrer à sa carrière d'écrivain.
Une vie à Paris débute, mais qui « ne sera pas une vie parisienne », précise Jérôme Trollet, président de l'association des amis d'Alexandre Vialatte. Ainsi, s'il est « bon vivant, amateur d'amitié et d’échanges humains », il ne cherche pas à appartenir à des cercles influents ni à courir les modalités. « Il préfère bien plus discuter chez le bougnat jusqu'à pas d'heure que d'aller jouer au bridge dans tel ou tel club », poursuit-il.

Dans les ateliers d’artiste à Montparnasse

Il va rapidement développer un riche réseau d'amis. Et ce, en premier lieu, dans le quartier Montparnasse (14e arrondissement), tout près du domicile des Vialatte. « Nous participions à la vie de ce quartier, où beaucoup d'artistes se retrouvaient », explique aujourd'hui Pierre Vialatte, qui était alors un tout jeune garçon. Dans les années 30, Alexandre aime aussi fréquenter des ateliers d'artistes où il retrouve des amis. C’est notamment le cas dans celui de Laure, une cousine d'Hélène, dite Lolotte ou Sybile. « C'était un lieu de ralliement, poursuit Pierre. Mon père aimait bien cette ambiance, le folklore de Montparnasse ». L'atelier de tissage de Lolotte aimante tout un monde qui réjouit le romancier. « On invente, on bâtit des châteaux en Espagne, on chante, on rit », décrit Ferny Besson. On y croise le peintre Jean Léon comme le modèle Kiki de Montparnasse. Mais pour Alexandre Vialatte, le spectacle est aussi dans la rue. Dans son 13e arrondissement, « sa nouvelle patrie qu'il parcours en tous sens », écrit sa biographe. « Il s'amuse au long des trottoirs étroits sur lesquels s'ouvre l'épicerie obscure, la librairie modeste avec son trop-plein de journaux accroché par des épingles ». Ce « goût de flâner » permet à « son œil de voir ce que personne d'autre ne remarque ». Ce même œil qui garantira toujours à l'auteur, dans ses écrits, un réjouissant sens de la description.
Observateur de la vie parisienne, épris de liberté, Alexandre Vialatte n’en poursuit pas moins ses travaux. La Basse Auvergne paraît notamment en 1936, tandis que les traductions se poursuivent. Pour travailler, il aime se rendre dans la Schola Cantorum, une pension de famille. On y trouve des étudiants et des étrangers, dans une ambiance communautaire qu'il affectionne. « Il a toujours aimé lire et écrire au milieu du brouhaha des salles de rédaction ou dans les chuchotements de la Bibliothèque nationale », souligne Ferny Besson.
La vie parisienne d'Alexandre Vialatte est fréquemment interrompue par des déplacements, notamment en Auvergne. Il passera également 2 ans en Égypte, de 1937 à 1939, comme professeur au lycée franco-égyptien d'Héliopolis, au Caire. Le second conflit mondial l'éloigne également de la capitale. Le brigadier Vialatte connait la drôle de guerre en Alsace. Il est fait prisonnier, interné à Besançon. C'est une période sombre, l'optimisme qu'il garda longtemps en lui concernant une future victoire française s'évanouit. Il « sombre dans une dépression nerveuse », explique Ferny Besson, allant jusqu'à « s'ouvrir les veines ». Il survit et est libéré après un séjour en hôpital psychiatrique. Il restera alors, ainsi que sa famille, en Auvergne, jusqu'à la Libération. Là, il écrit Le Fidèle Berger (1942), le plus autobiographique de ses romans directement inspiré de son expérience de prisonnier.
Dans les années qui suivent, Vialatte continue de n'être présent que par intermittence dans l'appartement familial. Il part faire des reportages en Allemagne, se retire dans le Puy-de-Dôme pour écrire Les Fruits du Congo… Les échanges avec sa femme, Hélène, se font par conséquent bien souvent par lettres (avec elle comme avec certains amis, il entretiendra toute sa vie une riche correspondance). Ce qui fait dire à Alexandre qu'il a un « foyer épistolaire ». Lorsqu'il est présent à Paris, le couple connaît parfois des tensions. La cigarette de l'écrivain en est bien souvent la cause. « Ses Gauloises seront toute leur vie est une source de conflit », note Jérôme Trollet. Hélène, farouchement hostile au tabac, en parle comme d'un « tiers installé entre eux et qui exclut toute harmonie, confiance, tout dialogue », indique Ferny Besson.
Pierre, lui, se souvient d'un père attentif à son éducation, mais « très occupé et, par conséquent, souvent absent. Je ne l'avais pas tout le temps sous la main », sourit-il aujourd'hui. Il parvient toutefois à créer avec lui une forme de complicité par l'humour.
En 1951, les fidèles de Vialatte, qui déplorent le manque de lumière sur ses écrits, pense son heure arrivée. Récemment paru, Les Fruits du Congo est pressenti pour le Goncourt. La presse littéraire penche, un temps, en sa faveur. Las, les académiciens en décideront finalement autrement. Le livre est, au final, un « échec commercial » note Ferny Besson. L'écrivain demeure ainsi « notoirement méconnu ». Mais n'en prend nullement ombrage. Il ne court pas après les reconnaissances, se « garde bien de rentrer les couloirs littéraire où il est bon de paraître si l’on veut être connu », assure sa biographie.

La course contre la montre du dimanche soir.

Il a alors 50 ans et, s’il n'éprouve, selon elle, « aucune amertume », l'écrivain va chercher à renforcer ses collaborations journalistiques, afin d'atteindre enfin cette stabilité financière à laquelle il aspire depuis tant d'années. Il travaille pour Paris Match, rédige un almanach mensuel pour Marie-Claire. Surtout, il devient chroniqueur pour La Montagne dès 1952. L'aventure durera quelques 900 chroniques, jusqu'à sa mort, en 1971. C’est l'occasion pour les lecteurs auvergnats de découvrir la vivacité d'écriture d’Alexandre Vialatte, tout comme son humour, sa maîtrise de l'art de la chute. Son sens aigu de l'observation également. L'auteur s'inspire de tout ce qui l'entoure, de tout ce qu’il vit. La rédaction, elle, intervient chaque semaine au dernier moment, dans l'après-midi du dimanche. Les retouches sur le texte l’amènent jusque dans la soirée. Une course contre-la-montre débute alors pour que ses écrits arrivent dans les temps au siège de La Montagne. « C’est alors souvent l'un de ses grands amis, Georges Allary, qui l'emmène en voiture gare de Lyon, afin qu’Alexandre Vialatte puisse glisser sa chronique dans le dernier wagon partant pour Clermont-Ferrand » explique Jérôme Trollet.
Ce sont ces activités journalistiques qui occuperont l'essentiel du temps de Vialatte dans les années 50 et 60. Des années marquées par des deuils. Hélène meurt en 1962. Trois ans plus tôt, c’est son grand ami auvergnat, Henri Pourrat, qui est parti. Sa mère décèdera en 1961, son père en 1964. « Comment coexister avec toutes ses ombres en soi ? » s'interroge-t-il.
Une fois de plus, l'écrivain trouvera dans l'amitié et l'ouverture aux autres un puissant moteur. Un moteur qui l'anime encore lorsqu'il est hospitalisé à Necker pour une intervention chirurgicale en 1971. « Il se promène de lit en lit, réconforte les uns, écoute les autres », explique Ferny Besson. Il les intéresse et les fait rire. Il commence à se lier d'amitié avec un Berbère très pieux qui récite par cœur ses sourates préférées ». Alexandre Vialatte devait mourir quelques jours plus tard, gardant, jusque dans ses derniers instants, ce goût des autres avec lequel il mena sa vie.


François Desnoyers

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