À l’occasion de la
réunion annuelle de notre association, Pierre Vialatte a évoqué avec émotion,
son amie Gabrielle Rolin.
Nous ne reverrons plus Gabrielle Rolin.
Elle est morte, à Paris, le 5 avril.
Elle n'avait pas souvent assisté à nos réunions, mais elle
était très fidèle à l'Association, et possédait tout à fait ‘’l'esprit Vialatte’’.
Elle avait préfacé avec allégresse la réédition de Badonce et les créatures, étant elle-même un grand auteur de
nouvelles. Un de ses nombreux recueils Le
mot de la fin, est une chronique inspirée de sa propre existence, des
mésaventures professionnelles et amoureuses d'une jeune journaliste pigiste
parisienne, de nationalité belge, et couronnée en 1972 par le prix Louise de
Vilmorin. Citons aussi le plus connu, Chère
menteuse, paru en 1978, et, en vrac, En
voilà une histoire !, Le voleur
et son chien, L'innocence même, Souriez, ne bougez plus, Sortie de secours,
En dernière analyse. Rappel à l'ordre, en 2005, a remporté le Prix de la
nouvelle, de l'Académie française. Journaliste et critique littéraire, elle
collaborait au Monde (au Monde des Livres dès ses débuts), à l’Express, au magazine Lire. En 1975, elle avait même suivi le
Tour de France pour la rubrique des sports du Monde. Elle écrivait tout le bien qu'elle pensait d'Antoine
Blondin, qui lui-même écrit d'elle :
‘’Une terrestre extra, c'est-à-dire de première qualité,
enracinée avec mesure sur sa planète et dans son temps, qu'elle observe d’un
œil à facettes, aigu et goguenard’’.
À Jacques Perret, elle vouait aussi une grande admiration et
amitié. Car dans le domaine de la littérature et des relations humaines, ses
sentiments transcendaient les opinions politiques familiales,
traditionnellement ‘’de gauche’’. Son père, sénateur socialiste intransigeant,
avait même refusé d'être anobli par le roi…
Ajoutons qu'elle était aussi une infatigable traductrice de
grands écrivains américains : Henry James, Truman Capote, Flannery O'Connor.
Je me souviens de ma première rencontre avec Gabrielle, il y
a plus de 40 ans, alors que je travaillais à Paris-Match, et qu’elle même exerçait je ne sais plus quelles
fonctions dans un autre titre du groupe. Elle cherchait quelqu'un pour lui
écrire un article sur… la neige. J'entrais dans son bureau, où un homme se
tenait près d’elle, et elle me dit d'emblée : « je vous présente
Monsieur Sapin ». Comme nous étions à la veille de Noël, je crus à une
plaisanterie. Ce n'était pas le cas. Mais, par la suite, je m'aperçus qu’elle
jouait souvent de son imagination et de son humour pour entretenir un doute
comique chez son interlocuteur.
Tous les matins, Gabrielle allait prendre son petit déjeuner
à la grande brasserie Zeyer, au carrefour Alésia, près de chez elle, escortée
par Jules, le plus parisien des chiens. C'était l'exacte réplique de Milou, le
fox de Tintin, et sans doute, plus qu'une coïncidence, car Gabrielle
entretenait avec Hergé, son compatriote, des liens d'amitié.
Un jour elle m'a montré une lettre de Gaz de France, qui
disait en substance : « Madame, depuis 20 ans, vous n'avez j'ai eu
aucune facture de gaz, aussi nous vous suggérons d'annuler notre contrat… »
Incapable de cuire, ne serait-ce qu'un œuf, elle préférait le Zeyer, et la
conversation des clients.
Elle recevait pourtant fréquemment, pour des dîners plutôt
amicaux que littéraire, mais c'était chez son fidèle compagnon, le bon docteur
Jean-Pierre Baujat, qui était au fourneau…
Lors de ses débuts journalistiques à Paris, elle avait fait
une grande enquête sur les Belges de la capitale, et l’on était surpris du
grand nombre de célébrités de nationalité belge, et les plus inattendues :
l’éditeur Tchou, le peintre Foujita…
Fière à juste titre de sa ‘’belgitude’’, elle avait toujours
gardé sa nationalité d'origine, et ce n'est pas elle qui aurait déclaré en entrant
sur scène, comme le fameu chansonnier montmartrois : « je suis belge…
mais je me soigne ».