Dans le magazine MASSIF CENTRAL n°133
du premier trimestre 2020, nous vous présentons ce très bel article de François
Desnoyers
LA CAPITALE ENTRE ECRITURE ET
AMITIE.
VIALATTE UN AUVERGNAT A PARIS.
En 1934, Alexandre Vialatte
quitte son Auvergne pour Paris. La capitale sera pour l'écrivain un riche
terrain d'observation, précieux pour ses travaux, mais aussi le terreau de solides
amitiés.
C'est une anecdote que Pierre, le
fils d’Alexandre Vialatte (entre ses parents sur la photo ci-contre), relate
dans la biographie que Ferny Besson a consacrée à son père. Il se souvient que,
durant son enfance, l'écrivain avait proposé le couvert à un sans-abri, « le
vieux père Couvidoux ». Il « entra un soir d'hiver pour manger la
soupe chez nous. On lui dressa à un lit poursuit Pierre Vialatte. Il resta
quatre mois ». Au domicile des Vialatte, à Paris, on trouve fréquemment
des gens de passage. Ce peut être « un clochard qu'Alex a recueilli au
coin de la rue ». Ou, souvent, des amis qui viennent partager un repas. « À
la maison, où l’on tenait table modeste mais ouverte, il y avait presque
toujours un ou plusieurs invités » explique Pierre.
« La notion d'amitié était
très importante à ses yeux », se souvient-il aujourd'hui. Ferny Besson,
avec qui l’écrivain noua justement une amitié des plus profondes, le confirme
dans sa biographie : « On ne dira jamais assez la place prépondérante
que l'amitié a tenu dans la vie d’Alexandre Vialatte. Non seulement L'amitié
qui le lie étroitement à quelques-uns, avec qui il a des correspondances
profondes, mais aussi l'amitié curiosité qui le pousse vers tout être humain.
Paris va être ainsi pour lui un
formidable terrain d'exploitation, de rencontres. Une source d'inspiration,
bien sûr, notamment pour ses chroniques, mais également un lieu où partager,
apprendre de l'autre, et tenter de rendre heureux ses semblables.
C'est en février 1934 qu’Alexandre
Vialatte quitte l'Auvergne pour s'installer à Paris. Il rejoint sa femme,
Hélène, et leur fils partis quelques mois plus tôt de Clermont-Ferrand. La
jeune femme vient de prendre la direction de l'École des surintendantes d'usine
et services sociaux. Ils habitent dans un appartement situé au 158 rue Broca,
dans le 13e arrondissement. Alexandre Vialatte à alors 32 ans, et déjà derrière
lui une solide expérience de traducteur de textes allemands (tout
particulièrement de Kafka). Il a également écrit l'une de ses œuvres majeures, Battling le ténébreux, en 1928, et a
développé une activité de journaliste. Son arrivée dans la capitale doit lui
permettre de se consacrer à sa carrière d'écrivain.
Une vie à Paris débute, mais qui « ne
sera pas une vie parisienne », précise Jérôme Trollet, président de
l'association des amis d'Alexandre Vialatte. Ainsi, s'il est « bon vivant,
amateur d'amitié et d’échanges humains », il ne cherche pas à appartenir à
des cercles influents ni à courir les modalités. « Il préfère bien plus discuter
chez le bougnat jusqu'à pas d'heure que d'aller jouer au bridge dans tel ou tel
club », poursuit-il.
Dans les ateliers d’artiste à
Montparnasse
Il va rapidement développer un
riche réseau d'amis. Et ce, en premier lieu, dans le quartier Montparnasse (14e
arrondissement), tout près du domicile des Vialatte. « Nous participions à
la vie de ce quartier, où beaucoup d'artistes se retrouvaient », explique aujourd'hui
Pierre Vialatte, qui était alors un tout jeune garçon. Dans les années 30,
Alexandre aime aussi fréquenter des ateliers d'artistes où il retrouve des amis.
C’est notamment le cas dans celui de Laure, une cousine d'Hélène, dite Lolotte
ou Sybile. « C'était un lieu de ralliement, poursuit Pierre. Mon père
aimait bien cette ambiance, le folklore de Montparnasse ». L'atelier de
tissage de Lolotte aimante tout un monde qui réjouit le romancier. « On
invente, on bâtit des châteaux en Espagne, on chante, on rit », décrit
Ferny Besson. On y croise le peintre Jean Léon comme le modèle Kiki de Montparnasse.
Mais pour Alexandre Vialatte, le spectacle est aussi dans la rue. Dans son 13e
arrondissement, « sa nouvelle patrie qu'il parcours en tous sens », écrit
sa biographe. « Il s'amuse au long des trottoirs étroits sur lesquels
s'ouvre l'épicerie obscure, la librairie modeste avec son trop-plein de
journaux accroché par des épingles ». Ce « goût de flâner »
permet à « son œil de voir ce que personne d'autre ne remarque ». Ce
même œil qui garantira toujours à l'auteur, dans ses écrits, un réjouissant sens
de la description.
Observateur de la vie parisienne,
épris de liberté, Alexandre Vialatte n’en poursuit pas moins ses travaux. La Basse Auvergne paraît notamment en
1936, tandis que les traductions se poursuivent. Pour travailler, il aime se
rendre dans la Schola Cantorum, une pension de famille. On y trouve des
étudiants et des étrangers, dans une ambiance communautaire qu'il affectionne. « Il
a toujours aimé lire et écrire au milieu du brouhaha des salles de rédaction ou
dans les chuchotements de la Bibliothèque nationale », souligne Ferny
Besson.
La vie parisienne d'Alexandre
Vialatte est fréquemment interrompue par des déplacements, notamment en
Auvergne. Il passera également 2 ans en Égypte, de 1937 à 1939, comme
professeur au lycée franco-égyptien d'Héliopolis, au Caire. Le second conflit
mondial l'éloigne également de la capitale. Le brigadier Vialatte connait la
drôle de guerre en Alsace. Il est fait prisonnier, interné à Besançon. C'est
une période sombre, l'optimisme qu'il garda longtemps en lui concernant une
future victoire française s'évanouit. Il « sombre dans une dépression
nerveuse », explique Ferny Besson, allant jusqu'à « s'ouvrir les
veines ». Il survit et est libéré après un séjour en hôpital
psychiatrique. Il restera alors, ainsi que sa famille, en Auvergne, jusqu'à la
Libération. Là, il écrit Le Fidèle Berger
(1942), le plus autobiographique de ses romans directement inspiré de son
expérience de prisonnier.
Dans les années qui suivent,
Vialatte continue de n'être présent que par intermittence dans l'appartement
familial. Il part faire des reportages en Allemagne, se retire dans le
Puy-de-Dôme pour écrire Les Fruits du
Congo… Les échanges avec sa femme, Hélène, se font par conséquent bien
souvent par lettres (avec elle comme avec certains amis, il entretiendra toute
sa vie une riche correspondance). Ce qui fait dire à Alexandre qu'il a un « foyer
épistolaire ». Lorsqu'il est présent à Paris, le couple connaît parfois
des tensions. La cigarette de l'écrivain en est bien souvent la cause. « Ses
Gauloises seront toute leur vie est une source de conflit », note Jérôme Trollet.
Hélène, farouchement hostile au tabac, en parle comme d'un « tiers
installé entre eux et qui exclut toute harmonie, confiance, tout
dialogue », indique Ferny Besson.
Pierre, lui, se souvient d'un
père attentif à son éducation, mais « très occupé et, par conséquent,
souvent absent. Je ne l'avais pas tout le temps sous la main », sourit-il
aujourd'hui. Il parvient toutefois à créer avec lui une forme de complicité par
l'humour.
En 1951, les fidèles de Vialatte,
qui déplorent le manque de lumière sur ses écrits, pense son heure arrivée.
Récemment paru, Les Fruits du Congo est
pressenti pour le Goncourt. La presse littéraire penche, un temps, en sa
faveur. Las, les académiciens en décideront finalement autrement. Le livre est,
au final, un « échec commercial » note Ferny Besson. L'écrivain
demeure ainsi « notoirement méconnu ». Mais n'en prend nullement
ombrage. Il ne court pas après les reconnaissances, se « garde bien de
rentrer les couloirs littéraire où il est bon de paraître si l’on veut être
connu », assure sa biographie.
La course contre la montre du
dimanche soir.
Il a alors 50 ans et, s’il
n'éprouve, selon elle, « aucune amertume », l'écrivain va chercher à
renforcer ses collaborations journalistiques, afin d'atteindre enfin cette
stabilité financière à laquelle il aspire depuis tant d'années. Il travaille
pour Paris Match, rédige un almanach
mensuel pour Marie-Claire. Surtout,
il devient chroniqueur pour La Montagne
dès 1952. L'aventure durera quelques 900 chroniques, jusqu'à sa mort, en 1971. C’est
l'occasion pour les lecteurs auvergnats de découvrir la vivacité d'écriture d’Alexandre
Vialatte, tout comme son humour, sa maîtrise de l'art de la chute. Son sens aigu
de l'observation également. L'auteur s'inspire de tout ce qui l'entoure, de
tout ce qu’il vit. La rédaction, elle, intervient chaque semaine au dernier
moment, dans l'après-midi du dimanche. Les retouches sur le texte l’amènent
jusque dans la soirée. Une course contre-la-montre débute alors pour que ses
écrits arrivent dans les temps au siège de La
Montagne. « C’est alors souvent l'un de ses grands amis, Georges Allary,
qui l'emmène en voiture gare de Lyon, afin qu’Alexandre Vialatte puisse glisser
sa chronique dans le dernier wagon partant pour Clermont-Ferrand » explique
Jérôme Trollet.
Ce sont ces activités
journalistiques qui occuperont l'essentiel du temps de Vialatte dans les années
50 et 60. Des années marquées par des deuils. Hélène meurt en 1962. Trois ans
plus tôt, c’est son grand ami auvergnat, Henri Pourrat, qui est parti. Sa mère
décèdera en 1961, son père en 1964. « Comment coexister avec toutes ses
ombres en soi ? » s'interroge-t-il.
Une fois de plus, l'écrivain
trouvera dans l'amitié et l'ouverture aux autres un puissant moteur. Un moteur
qui l'anime encore lorsqu'il est hospitalisé à Necker pour une intervention
chirurgicale en 1971. « Il se promène de lit en lit, réconforte les uns,
écoute les autres », explique Ferny Besson. Il les intéresse et les fait
rire. Il commence à se lier d'amitié avec un Berbère très pieux qui récite par
cœur ses sourates préférées ». Alexandre Vialatte devait mourir quelques
jours plus tard, gardant, jusque dans ses derniers instants, ce goût des autres
avec lequel il mena sa vie.
François Desnoyers