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1/17/2012

CHRISTIAN DEDET évoque ALEXANDRE VIALATTE

L'écrivain Christian Dedet évoque ici avec amitié, Alexandre Vialatte au coeur de l'Auvergne.


Extrait de « HISTOIRE D’EAUX », de Christian Dedet (éditions du Rocher, 2006 )

« J’ai eu fort heureusement, pour m’aider à me forger une identité auvergnate, deux intercesseurs d’exception.

En premier lieu, mon confrère et insigne écrivain le Dr Roland Cailleux. Lorsque je m’installai à Châtel-Guyon, il en était, avec son épouse, médecin elle aussi, à sa vingt-neuvième saison. (….)

Alexandre Vialatte : mon autre guide spirituel sur la terre d’Auvergne.

C’est lorsque Misette Cailleux eut pris sa retraite qu’il devint mon patient à titre amical. N’exagérons pas le rôle. « Alex », depuis longtemps, gérait seul ses prises d’eaux ; avec la même minutie, le petit boîtier-pilules qu’il tenait de ses spécialistes parisiens.

Il descendait, chaque année, chez des amis de longue date, propriétaires du gour de Tazenat, ne se rendant à Châtel-Guyon qu’à l’heure où les lions vont boire. Gabardine ou blazer selon le temps, abrité des ondées ou du soleil par son inamovible chapeau de popeline.

Á cette époque, il aurait été heureux s’il avait pu penser qu’un jour le moindre de ses propos servirait de devise à la nation auvergnate ; qu’il serait cité aussi bien par les officiels dans leurs discours que par les chanoines en chaire ! Mais il n’était encore que l’inventeur français de Kafka – ce Tchèque capital ; l’accueil fait à ses délectables Fruits du Congo ne lui inspirait qu’un sourire résigné : « Je suis un méconnu notoire. »

Il y avait cependant la chronique de La Montagne que toute une région guettait. Dominique Perrin nous raconte comment « Alex », l’œil encore chaviré, en apportait le texte au chef de train, tous les dimanches soir, en gare d’Austerlitz, un coursier du journal venant cueillir les pages à l’aube, en gare de Clermont.

N’a-t-on pas dit que les sophistes grecs étaient déjà partisans de ces méthodes terre à terre ; méthodes auvergnates avant l’heure ? Gorgias à tout le moins, féru d’agriculture. Et Protagoras d’Abdère, dont Démocrite nous dit qu’il confortait sa philosophie par son art pour nouer les fagots.

Il me semble que, sur bien des points, la pensée de Vialatte justifie pareilles références. Sous les paradoxes du « discours démolisseur » (Protagoras ), sous les apparences de la polissonnerie dialectique, ses maîtres mots rappellent ceux de la pensée sophistique : « De toutes choses l’homme est la mesure : de celles qui sont, qu’elles sont ; et de celles qui ne sont pas, qu’elles ne sont pas. »

D’un flot de coupures jaunies, une chronique – entre cent – me tombe sous les yeux. Elle est intitulée Leptocéphales et veaux bretons. Il y est surtout développé la question subsidiaire : « Faut-il tuer l’homme ? Probablement. Mais ne pressons rien… » Et pourquoi ? « Pour sauver l’éléphant ». Mais n’apparaît-il pas, après dix lignes, que tout sujet sécrète deux argumentations opposées ? Evitons les erreurs. « Il ne faut donc pas tuer l’homme, mais tuer l’éléphant ». Sans trop ( éloge du quota !) « pour faire survivre l’éléphant ! »

Savoir-faire oratoire ? Jeu sur les équivoques ? Déploration masquée et néanmoins formelle des éclipses de l’absolu ? Vialatte parvenait à convaincre jusqu’aux malicieuses fermières du Cantal ! Il fut un génial pédagogue de la vie. Et qui eût contesté son souriant pessimisme quand il parvenait à cette certitude : « L’homme n’est que poussière, c’est dire l’importance du plumeau ! »


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